Par leur position au cœur des enjeux de pouvoir européens, les villes des Pays-Bas ont toujours été dotées d’enceintes puissantes, constamment réactualisées au fil du temps pour répondre aux progrès de la poliorcétique.
Le nord de la France et la Belgique, champ clos des guerres européennes du XVIe au XVIIe siècle, de ce fait perpétuel laboratoire des techniques de pointe en matière de fortication, constitue sans conteste un observatoire privilégié de l’évolution des structures défensives des villes du Moyen Âge à nos jours.
La défense d’un territoire
L’affrontement majeur qui émerge au XVIe siècle oppose le royaume de France à l’empire des Habsbourg et les confrontations armées vont peu à peu délaisser l’Italie pour se recentrer sur les Pays-Bas. Français et Impériaux renforcent leurs frontières réciproques en utilisant tout d’abord les compétences des ingénieurs italiens. La France et les Pays-Bas, fécondés par cet apport, voient bientôt émerger leur propre école d’ingénieurs et deviennent les pays pilotes de la fortification nouvelle.
En Artois au début du XVIIe siècle, Pierre Le Coeulre élabore pour le compte du roi d’Espagne divers projets de fortifications. Mais c’est avec l’avènement de Louis XIV et sa politique d’annexion des confins du royaume de France que se développe un véritable système défensif de la frontière du Nord, impulsé par l’inépuisable génie de Vauban. Les nouveaux principes formalisés par Vauban impliquent la mise en place de lignes de défense cohérentes aux frontières, s’appuyant sur le réseau des villes fortes servant de bases aux armées, dont les effectifs seront alors décuplés pour faire face aux nouvelles missions qui leur sont dévolues et fournir au souverain les moyens propres à servir son ambition.
Vauban et le pré carré
Les acquisitions territoriales de la France vont se succéder au fil des campagnes militaires et des divers traités : Aix-la-Chapelle en 1668 offre Lille à la France, Nimègue en 1678 permet d’acquérir Valenciennes, Cambrai et Saint-Omer. Cependant, la conquête par les armes n’est pas le seul mode d’acquisition. Dunkerque est acheté en 1662 au roi d’Angleterre. En 1673, Vauban formule sa théorie du pré carré fondée sur une double ligne de places fortes s’étirant de la mer du Nord à la Meuse. De même qu’il est convaincu de la nécessité d’uniformiser la frontière du royaume, il va ordonnancer la défense des villes en adaptant pour chacune d’elles le système de fortification bastionné avec une intelligence particulière de l’inscription au site, tirant parti ici de l’inondation qu’il peut tendre, là des dispositions du relief.
Lille, la capitale des Flandres françaises, va voir ses fortifications renforcées de façon spectaculaire avec la construction dès 1667 d’une puissante citadelle. À Dunkerque, Vauban va créer une formidable place forte et un port de guerre braqué vers la mer du Nord. Si l’essentiel de l’œuvre de réactualisation de la mise en défense des villes est achevé vers 1692 sous l’impulsion de Vauban à la faveur de l’application de ce vaste système de défense géostratégique, l’effort va se maintenir tout au long du XVIIe siècle et les projets continuer à éclore, comme en témoigne l’abondante production cartographique des ingénieurs militaires de l’époque.
Les places fortes du Nord à l’épreuve de la modernité
L’évolution des performances et les progrès de la portée et de la puissance de l’artillerie au cours du XIXe siècle sont tels que les vénérables places fortes se verront complètement surclassées et que, dans la perpétuelle rivalité entre le projectile et la cuirasse, la balance vient à pencher irrémédiablement en faveur du premier.
Dans un premier temps, les ingénieurs vont adapter les fortifications par un défilement très étudié des ouvrages, de manière à contrer le tir des assaillants et prendre en considération l’allongement de la portée des pièces d’artillerie. Par ailleurs, le défilement ne suffisant pas à protéger les défenseurs, il est nécessaire de construire des abris casematés pour les mettre à l’abri. Les tentatives de mise à niveau du système bastionné vont cependant atteindre leurs limites et seront rendues obsolètes par les progrès constants de l’artillerie, avec la création en outre du projectile cylindro-conique, du canon rayé, du chargement par la culasse, de l’obus torpille, etc. Ces techniques annoncent l’avènement des forts détachés qui marque la fin de la symbiose étroite entre la ville et sa défense avec la disparition du rôle militaire du rempart.
Développement des forts et des batteries hors la ville
Les premières applications de cette nouvelle doctrine des forts détachés vont être mises en pratique en France par le général Haxo. En Belgique, le général Brialmont, surnommé le Vauban belge, est chargé à la fin des années 1850 de réaliser la défense de la place d’Anvers, dont en 1832 le siège avait démontré de manière éclatante l’incapacité de la fortification classique à résister aux coups de l’artillerie moderne. Brialmont édifie une ceinture de forts à cinq kilomètres de l’enceinte de la ville, ceinture qui fut portée à onze kilomètres en 1878 afin de répondre aux progrès fulgurants de l’artillerie.
C’est en 1867, à la veille de la guerre de 1870, que le colonel Séré de Rivières construit autour de la place de Metz quatre forts qu’il n’hésite pas à éloigner d’une distance supérieure à trois kilomètres. Ces ouvrages, inachevés à la déclaration de guerre, n’empêchèrent pas le maréchal Bazaine de capituler le 26 octobre 1870. Au lendemain de la défaite, Séré de Rivières, nommé secrétaire du comité de défense de la nouvelle République, élabore un vaste programme autour de la notion de rideaux défensifs. Ainsi, sur la frontière du nord, les villes de Dunkerque, Lille et Maubeuge sont dotées de forts détachés, comme le fort de Sainghin près de Lille où celui de Ferrière-la-Petite près de Maubeuge. À partir de 1885, en réponse aux nouveaux types de projectiles à explosif brisant (obus torpille), se généralise l’usage du béton dans la construction des ouvrages.
L’irruption de la troisième dimension et le retour de la ville au cœur du conflit
Les actions menées au début de la Première Guerre mondiale mettent en échec de tels dispositifs, l’artillerie allemande venant à bout des puissantes places fortes de Liège ou Maubeuge. Au lendemain de cette guerre qui s’est déroulée pour sa plus grande part en rase campagne dans des tranchées émerge un mode de défense linéaire, la ligne Maginot.
Les concepteurs de ce système titanesque n’avaient cependant pas intégré le fait que l’art de la guerre devait à présent compter avec une troisième dimension, l’espace aérien et l’avènement de l’aviation. La défense des villes et des moyens de production qu’elles abritent sont donc à nouveau au cœur des priorités et la défense est alors assurée par des moyens de protection propres, tels que l’artillerie antiaérienne et l’aviation de chasse.
Les destructions urbaines consécutives aux conflits du XXe siècle ont, en outre, profondément changé la physionomie de nombreuses villes du nord de la France qui ont connu une, voire plusieurs reconstructions, adoptant des partis qui se font les reflets des courants de pensée de l’époque en matière d’urbanisme. Si les reconstructions consécutives à la Première Guerre mondiale respectent généralement la trame urbaine ancienne, les reconstructions entreprises après 1945 adoptent des schémas d’aménagement plus novateurs, voire radicaux.
Yves ROUMEGOUX
archéologue - DRAC Ile-de-France